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17 décembre 2008

Qu'est-ce que la classe ouvrière?

Pourquoi cette question?

Le terme de "classe ouvrière" est une fausse évidence typique. Très utilisé dans la théorie marxiste, la propagande et l'orientation des combats, tout le monde a l'air de savoir ce qu'il veut dire. Il n'en est rien. Et je ne tente ici que d'en donner une définition possible, qui évoluera sans doute au fil du temps, des critiques apportées, etc.

Problèmes

Le problème vient du fait que, à l'époque de Marx et Engels, le terme de "classe ouvrière"  est à peu près synonyme de "ensemble des ouvriers", c'est-à-dire des travailleurs manuels de la grande production, avec comme "type" l'ouvrier métallurgiste ou le mineur; et aussi synonyme de "prolétariat", terme essentiellement utilisé par les marxistes et qui regroupe ceux qui possèdent la double caractéristique suivante:

- créer de la valeur, et ne recevoir en échange du travail qu'une partie de cette valeur, le reste constituant le profit. C'est la définition économique, leur place dans le processus de production, le profit étant la base unique de l'économie capitaliste.

- ne posséder que sa force de production ("ses bras") et en être ainsi réduit à vendre sa force de travail pour vivre, c'est-à-dire devenir un salarié. C'est la définition sociale, ce qui détermine les rapports de production entre ouvriers et bourgeois.

La bourgeoisie étant définie a contrario par l'ensemble de ceux qui accaparent le profit, parce qu'ils possèdent les moyens de production. (notez ce "parce que": il montre un lien possible entre ces deux caractéristiques. On y reviendra dans un autre article)

Si cette approximation est encore valable pour les pays récemment industrialisés, elle pose problème dans les pays d'industrialisation plus ancienne, comme l'Europe, les États-Unis et le Japon.

En effet, à l'époque de Marx et Engels, la plupart des gens soit avaient les deux caractèristiques du prolétariat, soit n'en avaient aucune.

On pouvait, dans les grandes lignes servant à l'analyse et à l'orientation stratégique, négliger ceux qui ne possédaient que l'une des deux. Bien qu'il existe des personnes ne possédant que la 1re caractéristique (les petits paysans, par exemple, ceux qui sont payés "aux pièces"), c'est surtout ceux qui ne possèdent que la seconde qui posent problème, parce que leur nombre n'a cessé de grandir dans les pays industrialisés.

Et cela suite à plusieurs processus corrélés:

- la complexification du processus de production, qui oblige le "patron-bourgeois" d'origine à être aidé dans l'organisation de celle-ci. Cela concerne non seulement les cadres (et la différentiation entre "patron"(dirigeant) et "bourgeois"(possédant)), mais aussi une part importante  des tâches des "employés de bureau".

- la difficulté croissante de "réaliser" le profit: en effet, pour que le capitalisme fonctionne, il ne suffit pas de faire de profit, il faut aussi le réaliser, c'est-à-dire vendre: c'est cette difficulté qui est à la base de la crise actuelle. La complexité croissante des marchés, et l'aggravation de la concurrence là encore exige l'embauche par la bourgeoisie d'un grand nombre de salariés qui s'occupent de cette réalisation: c'est le cas encore de bon nombre d'employés, chargés d'organiser la vente et les transports, c'est le cas des "commerciaux", du marketing,  ou encore des camionneurs, etc.

la part croissante de l'État dans l'économie capitaliste: il en résulte une croissance des "pouvoirs publics" qui constituent une masse très importante des salariés actuels, bien qu'en termes économiques stricts, ils ne créent aucune "valeur".

- L'impérialisme: les capitalistes des pays impérialistes n'accaparent pas seulement le profit réalisé dans leurs usines, par les moyens de production qu'ils possèdent, mais aussi une part du profit réalisé ailleurs, grâce à des prix d'achat des matières premières largement inférieurs à leur valeur, cette distorsion de "l'offre et la demande" reposant sur le pouvoir politique, militaire des pays impérialistes. Là encore une partie du travail des employés intervient dans l'organisation pratique de cet accaparement, à travers le transport et les achats. Néanmoins, ce dernier processus n'intervient dans le cadre de l'évolution de la classe ouvrière que lié à la complexité croissante de la production.

Enjeux

- La croissance des couches sociales ne possédant pas la double caractéristique a été, et est encore, un argument pour prétendre que le marxisme est "dépassé", et que la "classe ouvrière" ne peut ou ne doit plus jouer le rôle central. Cet argument se base volontiers sur des éléments prétendument "objectifs", entre autres statistiques, en oubliant que ces statistiques et autres instruments de mesure sont basés sur la vieille signification de "classe ouvrière", ou sur des définitions ambigües. Il sert généralement à masquer des virages opportunistes,(les nouvelles avant-gardes, etc)  comme des replis sectaires ou ouvriéristes (seule la classe ouvrière au sens ancien est révolutionnaire), et entretient le défaitisme.

- le choix des moyens de lutte dépend du rôle dans la production: la grève n'a pas la même portée dans une grande industrie ou dans la fonction publique, sans parler des enseignants ou même des étudiants

- la conscience de classe constitue l'élément subjectif fondamental de la lutte révolutionnaire. Les ambiguïtés du sens de la classe ouvrière constitue un obstacle, entretenu par le fonctionnement idéologique de la bourgeoisie. La proportion de ceux qui se définissent eux-mêmes comme "ouvriers" est en baisse constante dans les pays de vieilles industrialisation

- la bourgeoisie jouera au maximum, tant quelle le pourra, des différences de conscience, de conditions, et donc d'intérêts entre les différentes couches de la classe ouvrière, alors que les révolutionnaires doivent mettre en avant ce qui les réunit.


Éléments de réponse

Si la classe ouvrière joue un rôle central dans la lutte révolutionnaire, et la construction de la société transitoire, c'est essentiellement pour trois raisons:

- son rôle dans le mode de production (1re caractéristique du prolétariat) qui fait qu'elle constitue la base du capitalisme, et donc que son opposition au capitalisme détruit les fondements de celui-ci (contrairement à d'autres classes sociales : petits-bourgeois, enseignants, fonction publique en général, soins de santé, etc..). C'est ce qui explique l'importance de la grève comme moyen de lutte de base (et sa faible efficacité pour les autres catégories sociales)

- la nécessité pour la bourgeoisie d'augmenter toujours son profit, et donc de baisser les salaires réels moyens, seuls sources de revenus des travailleurs, ce qui rend irréconciliables les intérêts des travailleurs et des bourgeois, alors que les autres couches de la sociétés ont des intérêts communs avec les uns et/ou les autres.

-  la concentration du travail dans les grandes entreprises, et la pression générale sur les salaires, conduit la grande masse des salariés à partager les mêmes conditions de vie et les mêmes intérêts, comme à prendre conscience dans la lutte de la puissance qu'ils représentent: la classe ouvrière est l'instrument -et l'une des  bénéficiaires -de la lutte révolutionnaire déjà par sa masse et son unité de fait.

Or, le développement du capitalisme et l'aggravation de la crise de surproduction entraîne la grande masse des salariés, y compris ceux qui ne correspondent pas à l'ancienne définition de "classe ouvrière", à partager ces trois caractéristiques.

- L'aggravation de la crise de surproduction rend vital pour le capitalisme à la fois de réduire les coûts liés à l'organisation du travail et à la réalisation du profit, et en même temps d'utiliser au maximum les salariés chargés de ces tâches.

- L'automatisation et l'informatisation des tâches rend de plus en plus floues (sans les effacer bien sûr)  les distinctions entre travail "manuel" et "intellectuel" qui fondait la différence entre employés et ouvriers. Les employés, de l'État ou du privé, sont eux aussi concentrés  dans des lieux uniques, avec des conditions de travail similaires, favorisant ainsi la conscience de classe.

Le capitalisme a donc une fois encore apporté par son propre développement la réponse aux problèmes qu'il crée:

Réponse provisoire

La classe ouvrière, aujourd'hui, ne se définit plus seulement par les deux caractéristiques de la notion de prolétariat dans le marxisme ancien, qui en constitue toujours la base, mais par les trois caractéristiques qui en définissent le rôle dans la lutte
- son opposition au capitalisme sape les bases de celui-ci
- la bourgeoisie est forcée de s'attaquer à elle pour augmenter, non plus seulement le profit mais le taux de réalisation du profit (rapport vendus/invendus et prix/valeur), rendant leurs intérêts irréconciliables

- elle constitue la grande masse des salariés, unis par leurs conditions de travail et leur concentration

Si l'on veut que le terme de "classe ouvrière" garde un sens, et une efficacité dans la lutte, qu'il soit un instrument de la conscience de classe, il faut tenir compte à la fois des deux caractéristiques concernant sa place dans la société capitaliste, mais aussi les trois caractéristiques concernant sa place dans la lutte révolutionnaire.
Dans l'analyse, il faut garder la distinction entre la création de valeur et la réalisation du profit, sinon on ne comprend rien à la crise actuelle, ni au fonctionnement du capitalisme en général.

Mais dans la lutte, ce sont les autres caractéristiques qui doivent être mises en avant, pour faire comprendre combien les intérêts de la grande masse des salariés sont irréconciliables avec ceux de la bourgeoisie, et rend nécessaire la révolution ouvrière.

Il ne faut pas pour autant oublier, même dans la lutte quotidienne cette distinction première, car s'il y a bien quelque chose dont les travailleurs sont conscients,  c'est cela: il suffit d'avoir travaillé dans une usine pour connaître les difficultés fréquentes, quand la lutte est à ses débuts, à unir employés et ouvriers, comme il suffit de voir quel parti la bourgeoisie tire de l'opposition entre fonctionnaires et salariés du privé.

Il ne suffit pas d'invoquer sans cesse "les travailleurs" pour réaliser l'unité, il faut comprendre en quoi consiste cette unité: on ne vainc pas les obstacles en les ignorant.

Citations

"Il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier, et que M. Capital [...] jette sur le pavé dès qu'il n'en a plus besoin », Karl Marx, Le Capital, 1867, Garnier-Flammarion, 1969, p. 675. Dans le Manifeste communiste (1848), Marx parle du prolétariat comme étant « la classe des travailleurs modernes ».

« Par bourgeoisie, on entend la classe des capitalistes modernes, qui possèdent les moyens de la production sociale et emploient du travail salarié ; par prolétariat, la classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre. », F.Engels (dans Karl Marx, Philosophie, Gallimard, 1994, p. 594)

(citations reprises de l'article "prolétariat" de Wikipedia)

Voir d'ailleurs l'article "Classe ouvrière" qui montre sommairement le problème évoqué (comme d'habitude la version en anglais est plus développée)

Questions connexes

- chômeurs et classe ouvrière

- petite-bourgeoisie

-bourgeoisie

- grève

- salaire et profit

- la classe ouvrière  et la société de consommation

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Commentaires
C
Je crois justement que ce n'est évident pour personne, sauf ceux qui le croient.<br /> Ah le Capital. La 1re partie est effectivement plus abstraite. On sent sa formation philo. C'est pour cela qu'il vaut mieux commencer par "l'Introduction à l'économie politique" ou "salaires, prix et profits" si on veut aborder la pensée économique dudit papy. Enfin, pour ce que je m'en rappelle, car c'est finalement assez loin toutes ces lectures. Mais ce blog sera aussi l'occasion de m'y ramener.<br /> Il faudrait aussi que je lise le "manifeste du groupe ouvrier" que vous avez sur votre blog..<br /> Merci de votre passage.
M
Merci d'apporter votre contribution à ce qui semble évident et qui est loin de l'être pour des profanes tels que moi par exemple. Il faut dire qu'en abordant de mes yeux têtus "le Capital" du papy, ce qui me sert de cerveau a semble-t'il progressivement laissé place à des fils barbelés, passe pour la section II, III et IV, en relisant plusieurs fois, mais à la Ire section, je m'arrache un peu les cheveux, juste un peu mais tout de même. <br /> En tous les cas, merci pour cet espace.
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