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15 avril 2009

Grèce: retour sur les événements 4 et fin

6 Le rôle de l'extrême-gauche

Le syndicat GSEE n'avait cependant pas accepté la demande du gouvernement d'annuler la grève générale elle-même: elle aurait risqué de perdre tout contrôle sur le mouvement ouvrier. Ce refus tactique suffit à certains groupes, dont l'organisation-sœur de la LCR, l'OKDE-Spartacos,  pour prétendre que les syndicats avaient « résisté aux pressions du gouvernement».

Un article paru le 9 ou le 10 décembre sur le site du NPA et de Rouge, écrit par l'un des membres de l'OKDE-Spartacos, Andreas Sartzekis, affirmait en plus que « la grève générale de 24 heures sera le meilleur moyen de faire prendre conscience du lien entre la crise capitaliste et la répression policière menée par le gouvernement de la droite libérale». Autrement dit, laissons faire les directions bureaucratiques, elles montrent la voie! Le 18 décembre, un nouvel article évoquait cette fois le « recul des directions syndicales », sans souffler mot de l'occupation des locaux du GSEE qui se déroulait à ce moment-là.

La Grèce compte de nombreuses organisations d'extrême-gauche, essentiellement regroupées autour de trois coalitions, Syriza, (« coalition de la gauche radicale », comprenant entre autres les « eurocommunistes » et qui obtint plus de 5% aux dernières élections) , le MERA(« front de la gauche radicale ») et l'ENANTIA (« Gauche unie anti-capitaliste », comprenant l'OKDE-Spartacos). Vu le peu d'informations dont on dispose, il est impossible d'établir le rôle de chacun.

La presse bourgeoise n'a parlé que de Syriza, qui après avoir un temps voulu maintenir la manifestation du 10 décembre, a cédé aux pressions des grands partis réformistes et aux bureaucraties syndicales et a renoncé à se joindre aux courants plus radicaux. Les informations données dans Rouge montrent que l'OKDE-Spartacos a suivi la ligne habituelle de cette tendance politique:  suivre jusqu'aux limites du possible les bureaucraties syndicales, pour ne les dénoncer que quand leur trahison devient une évidence, et sans jamais proposer d'autre alternative.

Selon un autre groupe trotskiste, l'EEK, membre du MERA, et qui constitue avec les anarchistes et la presse bourgeoise notre principale source d'informations sur les événements, un conflit a opposé l'EEK aux principales autres organisations membres du MERA et à l'ENANTIA quant aux perspectives immédiates, particulièrement lors de la manifestation et de la réunion du 31 janvier.

Alors que la majorité des organisations, repoussant toute continuation des actions spontanées, qui manqueraient de « caractère de classe » et prétendant vouloir offrir une « proposition politique centrale », avec pour seules perspectives des élections anticipées, selon un modèle d'union des révolutionnaires et des réformistes inspirés du NPA français, l'EEK voulait mettre en avant le mot d'ordre de gouvernement ouvrier basé sur la mobilisation des masses, avec pour objectif des mesures transitoires.

7 Le rôle des anarchistes

Il ne fait guère de doutes que les anarchistes, traditionnellement fort dans la jeunesse grecque, ont joué un rôle important dans les événements, comme dans les tentatives de les étendre à d'autres pays. La presse bourgeoise s'est naturellement fait l'écho de ce rôle, pour peindre les diverses actions spontanées des étudiants et des travailleurs comme émanant d'activistes isolés et coupés des masses.

Les anarchistes ne se sont pas contentés de participer aux actions. Sans doute en ont-ils initiés certaines. Selon leur propre témoignages, ils ont aussi tenté d'encadrer, pour les protéger, les plus jeunes lycéens qui partaient affronter avec l'inconscience de leur âge la violence policière. Toute l'information venue d'eux, et largement diffusée par internet insiste sur leur rôle essentiel dans les luttes (se gardant bien, généralement, de mentionner les autres intervenants d'extrême-gauche).

Mais en même temps, ils ne cessaient de proclamer, en accord avec la doctrine anarchiste, qu'ils ne voulaient pas jouer le « rôle d'avant-garde »! Mais encadrer, initier, jouer un rôle important dans les luttes, qu'est-ce sinon jouer, fut-ce très mal, un rôle d'avant-garde? C'est là la contradiction inhérente à toute intervention anarchiste dans les luttes sociales.

Le courage, la détermination, l'efficacité immédiate parfois, ne leur manquent pas. Mais leur refus d'assumer leur rôle d'avant-garde prive le mouvement de masse de toute perspective, et les entraîne dans l'impasse.  Ils participent ainsi au découragement général. Ils nourrissent la division entre les masses laissées au mains des directions bureaucratiques et les individus radicalisés qui n'ont d'autres perspectives que des affrontements de plus en plus violents avec les forces de police et des actions ponctuelles contre les « symboles » du pouvoir économique et politique.

Tandis que les anarchistes s'attaquent aux symboles du pouvoir bourgeois, la réalité de ce pouvoir, elle, peut s'affermir, avec la complicité des réformistes, des bureaucrates et des pseudo-révolutionnaires timorés.

9 Conclusions

Tandis que les organisations de la gauche radicale ergotent sur le « caractère de classe » des luttes, les gouvernements bourgeois, tout en blâmant les « éléments incontrôlés », ont bien compris la nature des événements grecs, directement liées à la politique néolibérale que le capitalisme tente d'imposer à travers le monde, poussé dans le dos par la crise de surproduction qu'il traverse.

Sans l'aide déterminée des bureaucraties syndicales, appuyées idéologiquement par les organisations politiques réformistes, la jeunesse grecque aurait pu accomplir l'union avec les luttes des travailleurs et menacer ainsi l'État bourgeois.

La gauche radicale a d'abord couvert aussi longtemps que possible  la volonté et l'action des bureaucrates, qui mettaient tout en œuvre pour défendre l'État bourgeois et visaient à dénier tout contenu de classe à la lutte. Cette même « gauche de la gauche », prend ensuite cette volonté des bureaucrate pour un fait objectif inéluctable, sur lequel elle base ses perspectives réformistes et électoralistes, selon le vieux principe de la lutte par étapes: les réformes d'abord, la lutte pour la prise du pouvoir plus tard. Beaucoup plus tard. Trop tard.

Les affrontements directs contre l'État bourgeois, non pas des seuls éléments « incontrôlés », mais de toute la jeunesse et des courants les plus déterminés des travailleurs, la déconsidération de l'État bourgeois aux yeux de larges couches de la population, la répression ouverte et les menaces d'état d'urgence, la quasi-banqueroute de l'État, tout cela mettait au centre des luttes dès les premiers jours la question du pouvoir.

Le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier », appuyé par le mouvements des masses, avec pour programme les mesures transitoires essentielles, comme l'expropriation des banques et la nationalisation des entreprises qui licencient, le tout sous contrôle ouvrier; la répudiation de la dette internationale; la sortie de l'OTAN; et des mesures immédiates comme la libération des détenus; le  refinancement de l'enseignement, des retraites, des soins de santé, tout cela devait être mis en avant dès le 10 décembre, avec l'entrée en scène du mouvement ouvrier et les premières tentatives de jonction entre jeunesse et travailleurs, soit au début de l'offensive. Et non, pas comme semble l'avoir fait l'EEK, le 31 janvier, quand le mouvement est en plein recul.

Et pour que ce mot d'ordre ait un sens, il fallait lutter pour l'union entre jeunesse et mouvement ouvrier, en initiant, sur le modèle de ce qui s'ébauchait spontanément, les assemblées conjointes et les déclarations communes. Il fallait lutter ouvertement contre les manœuvres des directions syndicales et se battre dans les syndicats pour imposer la grève générale illimitée, qui aurait mis la classe ouvrière à la tête de la lutte. De tels développements n'auraient pas manqué de faire du combat des ouvriers et de la jeunesse un pôle d'attraction pour les couches populaires victimes aussi de la politique néolibérale, comme les petits paysans, qui étaient prêts à se battre contre le gouvernement.

Pendant ces quelques semaines de climat insurrectionnel généralisé, l'État bourgeois n'a pas été mis en danger, comme le prouve la non-application de l'état d'urgence, brièvement envisagé. La révolution n'était pas à l'ordre du jour. Pourquoi? Les conditions économiques et sociales étaient réunies. L'État bourgeois était faible. Les directions réformistes et bureaucratiques ont pu empêcher la radicalisation des masses en restant à la tête du mouvement ouvrier parce qu'aucune force importante ne s'est sérieusement dressée contre elles. La gauche de la gauche a refusé le combat par opportunisme, les anarchistes par principe.

Ce qui a manqué, c'est un parti révolutionnaire fort, capable d'affronter directement les directions syndicales, de donner un caractère de classe à la lutte, de proposer des perspectives claires et déterminées et de relier les luttes grecques aux luttes dans les autres pays contre la même politique ultralibérale.

Construire un parti révolutionnaire est aujourd'hui plus que jamais la nécessité première dans la lutte contre le capitalisme et ses alliés. Cette construction ne pourra se faire qu'à travers l'intervention dans les luttes existantes, lutte contre les bureaucraties syndicales et les organisations réformistes, lutte pour des perspectives politiques et sociales révolutionnaires.

C'est en ce sens que les récents événements en Grèce ne sont pas spécifiques à ce pays, mais exemplaires de la situation historique actuelle, marquée par la crise de direction du mouvement ouvrier.

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