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Divergence

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30 mai 2009

L’essoufflement des mobilisations en France ... ou la crise de la direction révolutionnaire

C’est à juste titre que les grands organisateurs de défaites que sont les bureaucraties réformistes à la tête des confédérations syndicales françaises ont reçu les félicitations de Fillon, le Premier ministre de Sarkozy. Leur tactique de démobilisation systématique (faite de « journées nationales » à répétition, sans lendemain) a commencé à venir à bout d’une des plus fortes mobilisations ouvrières qu’ait connues ce pays.

Les énormes manifestations centrales des 29 janvier et 19 mars – sur fond de grèves plus locales, dures – ont traduit non seulement la profondeur de la colère et le refus de payer la crise des capitalistes, mais aussi les attentes de la classe ouvrière d’une contre-attaque à l’offensive bourgeoise et d’une alternative au travers des  luttes. Le Premier Mai, éparpillé sciemment par les appareils confédéraux en une multitude de rassemblements locaux, a montré les premiers signes d’une démobilisation. Les deux journées appelées le 26 mai (une journée sans aucune consigne !) et le 13 juin (sans appel à la grève : un samedi, et juste avant les vacances qui, espèrent nos bureaucrates, achèveront toute volonté de lutte) s’annoncent pire encore.

La situation, qui était grosse d’une grève générale bénéficiant, en plus, du soutien actif d’une majorité de la population (et qui objectivement, par elle-même, aurait posé la question du pouvoir non seulement du sieur Sarkozy mais de toute la classe bourgeoise), risque de se retourner dangereusement contre la classe ouvrière et les couches populaires. Et ce, avant tout, de par le sabotage (planifié rien moins que sur six mois !) de ces « lieutenants ouvriers de la bourgeoisie » que dénonçait déjà Lénine et qui ont la mainmise sur les syndicats. Pour nous qui sommes confrontés depuis des années à la politique de collaboration de classes des réformistes à la tête des syndicats et des partis ouvriers, ce n’est aucunement une surprise. Mais il y a des trahisons qui sont pires que d’autres. Dans la situation de crise dramatique, historique, que connaît actuellement le capitalisme en faillite, c’est ouvrir la porte à la plus brutale des offensives réactionnaires.

Déjà, le pouvoir s’engouffre dans les brèches que ses « lieutenants » ont ouvert dans la mobilisation : plus de 70 manifestants électriciens et gaziers (dont des syndicalistes) ont été arrêtés comme de vulgaires malfaiteurs et placés en garde à vue pendant une journée. Mais ce n’est que la partie la plus visible de l’iceberg : la répression policière et judiciaire contre les grévistes, manifestants, militants syndicaux s’est brutalement intensifiée, de concert avec une campagne de dénonciation des « agitateurs d’extrême gauche » (reprise en version soft par les bureaucrates réformistes...) Cette criminalisation du mouvement social, profitant de la trahison réformiste, vise à intimider et briser la résistance aux plans antisociaux de la bourgeoisie. Et il n’est guère étonnant de voir réapparaître aujourd’hui le langage guerrier (et les mesures réactionnaires, et ce dans tous les domaines de la société) que Sarkozy et ses sbires avaient mis provisoirement en veilleuse, le temps de laisser passer l’orage social...

Rien n’est encore joué. Certes, la bourgeoisie et son gouvernement se sentent à nouveau le vent en poupe. Certes, les signes d’une démobilisation sont là. Certes, les forces qui y œuvrent (nos « faux amis ») sont toujours actifs aux commandes. Mais les oppositions à leur politique grandissent au sein même des syndicats, y compris chez les responsables syndicaux. Parmi les travailleurs, la volonté de résistance est probablement entamée mais pas éradiquée. Des luttes dures (peu médiatisées) continuent d’éclater. Mais elles sont pour l’heure isolées, donc plus vulnérables, alors que, partout, ce sont les mêmes préoccupations face à la crise capitaliste : l’emploi et les salaires. La convergence de ces luttes est posée, objectivement. Malheureusement pas « subjectivement » : A nouveau, se pose crûment la dramatique question de la direction de la classe ouvrière. Une direction qui ait un clair programme de lutte de classe et la ferme volonté d’en découdre avec le gouvernement et le patronat.

Les bureaucrates cachent aujourd’hui, comme ils le font régulièrement, leurs trahisons derrière l’argument que « les travailleurs ne sont pas prêts »... Il n’est pas question de mythifier ici, comme ont pu le faire certains gauchistes, la soi-disant « spontanéité révolutionnaire des masses ». Il s’agit de comprendre que la volonté de lutte tout comme la conscience de la grande majorité des travailleurs oscillent, et plus souvent vers le bas que vers le haut. C’est bien pour cela qu’est indispensable en permanence une direction, soi-disant plus consciente, capable de résister à de telles variations de mobilisation et de conscience.

Son rôle n’est certes pas de « décréter la grève générale », comme nous en accusent les bureaucrates ; il est, y compris au cours du travail de défense quotidienne, de convaincre patiemment (par sa propagande, son argumentation, son agitation, ses mots d’ordre,...) de la nécessité, surtout dans les conditions actuelles, de centraliser, unifier, durcir les luttes pour envisager de faire reculer une classe dirigeante bien déterminée à briser la classe ouvrière pour sauvegarder ses profits menacés par la crise ; il est – c’est le b.a. ba, si l’on veut convaincre - d’afficher aux yeux des travailleurs sa volonté d’agir en ce sens ; il est d’organiser, de renforcer et consolider les instruments de lutte que sont les syndicats, d’en créer d’autres plus ponctuels mais plus larges (comité de grève, comité de lutte, etc.) En bref, il est de se préparer et de préparer les travailleurs aux luttes de classe intenses. Et, quand elles éclatent, il est d’agir comme un véritable état-major capable de les diriger vers un affrontement centralisé avec la bourgeoisie, en s’appuyant sur les secteurs les plus mobilisés pour entraîner les autres, en donnant les moyens de gagner en termes de consignes, formes de luttes, revendications, formes d’organisation, d’élargissement des couches sociales susceptibles de se joindre à la classe ouvrière, etc. etc.

Une telle direction n’existe pas dans ce pays ni dans aucun autre pays capitaliste. Nous devons comprendre et expliquer que c’est cette absence non seulement qui hypothèque les luttes actuelles mais qui empêche de s’attaquer sérieusement à la racine de tous nos maux – le capitalisme – pour pouvoir enfin satisfaire réellement et durablement nos revendications en instaurant une société basée non plus sur le profit-roi mais sur les valeurs et besoins humains.

Doter la classe ouvrière d’une telle direction (un parti révolutionnaire) est une tâche primordiale qui s’impose à tous ceux qui veulent véritablement combattre le capitalisme. Comment construire ce parti ouvre un autre débat...


G.G.

Paris, le 25 mai 2009

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7 mai 2009

Hasard et nécessités 1

La difficulté, lorsqu'il s'agit d'analyser globalement l'histoire et de tenter de lui donner une orientation, d'observer des régularités et de leur donner une valeur explicative, est que toute énonciation des causes générales - pourquoi cela s'est passé ainsi, et pas autrement -tend à se muer en une cause extérieure à l'histoire même,- les lois de l'histoire auxquelles celle-ci "obéit", une Raison qui gouverne l'histoire-, et de là à un finalisme: l'histoire mène nécessairement quelque part - tout était écrit.

Il y a là un double problème, pour le marxisme, qu'il évite trop souvent d'aborder de front à mon sens. Sur le plan matérialiste, d'abord: la nécessité historique prise comme déterminant premier, le hasard pris comme expression de la nécessité, c'est rester dans l'idéalisme du rationalisme hégélien, en donnant le primat aux lois, de la Raison, sur les faits. Sur le plan de l'action: si la révolution est inévitable, pourquoi cet accent mis sur la volonté révolutionnaire? S'il faut agir, c'est qu'il n'y a rien d'inéluctable. S'il n'y a rien d'inéluctable, c'est qu'il n'y a pas de lois à l'histoire. Face à ce problème, le marxisme courant pratique volontiers l'évitement: soit l'éclectisme, qui recourt selon les besoins du moment à une explication déterministe ou à l'appel à l'activisme; soit un relativisme qui réduit les "lois" et la nécessité à des "contraintes", qui limite la liberté d'action, mais lui laisse "certaines marges".Dans les deux cas, il y a renoncement à véritablement unir analyse et action, hasard et nécessité, et qui constitue l'ambition fondamentale du marxisme, renoncement qui n'est pas sans conséquences pratiques, nous y reviendrons plus tard.

Les marxistes voient là d'autant moins un problème qu'ils ont la conviction de détenir le moyen de surmonter ces contradictions: la dialectique. C'est entre autres celle-ci qui permet l'affirmation qui clôt les articles précédents sur les lois de l'histoire: "L'histoire engendre sa propre nécessité". Le problème, quant à la dialectique, est que l'on va rarement au-delà de l'affirmation,  On retombe alors dans une caractérisation déterministe de l'histoire, comme en témoigne l'usage de l'expression "la roue de l'histoire", dont j'ignore l'origine, mais que Marx et Engels emploie dans le Manifeste: "Les classes moyennes [...] combattent la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de l'histoire".

La question de la nécessité et du hasard est surtout abordée dans les notes d'Engels regroupées sous le titre de "Dialectique de la nature". Or il y a dans ces notes une contradiction, qui n'est véritablement visible qu'a posteriori, grâce au développement des sciences, et de la notion de prévisibilité.

Trois réflexions d' Engels sont à noter:

1 "Toute connaissance vraie de la natu­re est connaissance de l'éternel, de l'infini, et par conséquent essentiellement absolue [...] C'est pourquoi la connaissance de l'infi­ni est bardée de doubles difficultés, et, de par sa nature, elle ne peut s'accomplir que dans une progression asymptotique infinie. Et cela nous suffit complètement pour pou­­voir dire: l'infini est tout aussi connaissable qu'inconnaissable, et c'est tout ce qu'il nous faut".

2 "Les preuves que ces oppositions immuables : fondement et conséquence, cau­se et effet, identité et différence, apparence et essence ne résistent pas à la critique, que l'analyse montre l'un des pôles contenu déjà [en germe] dans l'autre, qu'à un point déterminé un pôle se convertit en l'autre et que toute la logique ne se développe qu'à partir de ces oppositions en mouvement progressif"

3 "Le déterminisme, venu dans la science de la nature à partir du matérialisme français, prend la position contraire: il essaie d'en finir avec la contingence en la niant absolument. Selon cette conception, il ne règne dans la nature que la simple nécessité immédiate. Que cette cosse de petits pois contienne 5 pois et non 4 ou 6, que la queue du chien ait 5 pouces et pas une ligne de plus ou de moins, que cette fleur de trèfle-ci et non celle-là ait été fécondée cette année par une abeille et encore par telle abeille déterminée à telle époque déterminée, que telle graine de pissenlit emportée par le vent ait levé et non telle autre, qu'une puce m'ait piqué la nuit dernière à quatre heures du matin et non à trois ou à cinq, et cela à l'épaule droite et non au mollet gauche: tous ces faits sont le produit d'un enchaînement immuable de causes et d'ef­fets, d'une nécessité inébranlable, la sphère gazeuse d'où est sorti le système solaire s'étant déjà trouvée agencée de telle façon que ces événements devaient se passer ainsi et non autrement. Avec une nécessité de cette sorte nous ne sortons toujours pas de la con­cep­tion théologique de la nature. Que nous appelions cela avec saint Augustin ou Calvin le décret éternel de la Providence, ou avec les Turcs le kismet, ou encore la nécessité, il importe peu à la science. Dans aucun de ces cas, il n'est ques­tion de suivre jusqu'à son terme l'enchaînement des causes ; nous sommes donc aussi avancés dans un cas que dans l'autre; la prétendue nécessité reste une formule vide de sens et par suite... le hasard reste aussi ce qu'il était. Tant que nous ne sommes pas en mesure de montrer de quoi dépend le nombre de petits pois dans la cosse, il reste précisément dû au hasard ; et en affirmant que le cas était déjà prévu dans l'agence­ment primitif du système solaire, nous n'avons pas progressé d'un pas. Bien plus. La science qui entreprendrait l'étude du cas présenté par cette cosse particulière de petits pois en remontant toute la chaîne de ses causes ne serait plus une science mais un pur enfantillage; car cette même cosse de petits pois à elle seule possède encore un nombre infini d'autres propriétés individuelles, contingentes à première vue, telles que la nuance de sa couleur, l'épaisseur et la dureté de son écorce, la grosseur de ses pois, pour ne rien dire des particularités individuelles qu'on découvrirait au micros­cope. Cette seule cosse de petits pois donnerait donc déjà plus d'enchaînements de causes à poursuivre que ne pourraient en étudier tous les botanistes du monde. Donc, la contingence n'est pas expliquée ici en partant de la nécessité, la nécessité est bien plutôt rabaissée à la production de contingence pure. Si le fait qu'une cosse déterminée de petits pois contient 6 pois et non 5 ou 7 est du même ordre que la loi de mouvement du système solaire ou la loi de la transformation de l'énergie, ce n'est pas en réalité la contingence qui est élevée au rang de la nécessité, mais la nécessité qui est ravalée au niveau de la contingence.[souligné par moi] Bien plus : on peut affirmer tant qu'on vou­dra que la multiplicité des espèces et des individus organiques et inorganiques exis­tant à côté les uns des autres sur un territoire déterminé est fondée sur une néces­sité inviolable, pour les espèces et les individus pris isolément, cette multiplicité reste ce qu'elle était : le fait du hasard. Pour chaque animal, le lieu de sa naissance, le milieu qu'il trouve pour vivre, les ennemis qui le menacent et leur nombre -sont l'effet du hasard. Pour la plante mère, le lieu où le vent porte sa semence, pour la plante fille, celui où le grain de semence dont elle est issue trouve un sol propice à la germination sont l'effet du hasard, et l'assurance qu'ici également tout repose sur une inviolable nécessité est une bien faible consolation. L'amas hétéroclite des objets de la nature sur un terrain déterminé, et plus encore sur la terre entière. malgré toute détermina­tion primitive et éternelle reste ce qu'il était... le fait du hasard"

La seconde remarque nous renvoie à la notion d'irréversibilité, la troisième à la notion de probabilité, (et son lien avec le principe d'incertitude d'Heisenberg) et la première à celle de prévisibilité.

C'est à cette première qu'il faut d'abord revenir, en ayant en l'esprit la critique du déterminisme faite dans le 3e extrait, pour comprendre le problème:à l'époque où Engels écrit ces lignes, la science reste encore de fait déterministe, sous l'emprise du "démon de Laplace", supposant qu'une connaissance parfaite de l'état d'un système à un moment donné permettrait d'en connaître tout aussi exactement l'évolution ultérieure.

1 mai 2009

1er mai





Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd'hui.




(Epitaphe d'August Spies, l'un des dirigeants ouvriers anarchistes exécutés par la justice bourgeoise américaine après la manifestation du 1er mai et les incidents du 4 mai 1886)

 

haymarket

Manifestation de Haymarket, le mardi 4 mai 1886

Voir les rappels historiques du 1er mai 1886 sur le site de Hérodote et sur celui d'Arcane 17.

Et du massacre du 1er mai 1891 à Fournies, sur le site de Bataille socialiste.

Enfin, le texte de Rosa Luxemburg sur l'origine du 1er mai
.


1 mai 2009

Une crise révolutionnaire va s’ouvrir. L’issue dépend de nous !

Tract du 1er mai du CCI (T)

Photo_Manif_1er_mai2

Le Progrès (Lyon), samedi 2 mai

La crise mondiale du capitalisme a commencé ses ravages. En Espagne, la barre des 4 millions de chômeurs vient d’être franchie. En France, ce sont 3000 chômeurs de plus chaque jour. Les gouvernements bourgeois mentent comme des arracheurs de dent sur une possible reprise pendant que FMI et OCDE prévoient au contraire une aggravation sans précédent. Nous entrons dans une période, où le capitalisme, pour sauvegarder le profit, va attaquer les travailleurs et la jeunesse avec une violence que nos générations n’ont pas connue.

Toutes les mesures qu’ils prennent pour tenter de relancer la machine ne font qu’aggraver les contradictions, les milliards qu’ils distribuent aux banquiers, aux patrons, sont des bombes à retardement qui vont faire exploser les dettes publiques alors même que la misère s’étend et que la production ne peut plus être vendue.

Ceux qui nous parlent de réformer le capitalisme, de le moraliser, de revenir à un meilleur partage des richesses veulent dissimuler que le capitalisme en crise mène à la barbarie. La bourgeoisie se prépare aux prochains affrontements avec les mesures policières et les restrictions des libertés publiques. Pour se défendre, la classe ouvrière et la jeunesse doivent se préparer également, s’organiser pour imposer l’unité des organisations ouvrières dans un combat centralisé, tous ensemble.

Les dirigeants syndicaux n’en veulent pas, ils organisent les journées d’action à répétition et le morcellement des luttes, chacun son tour, pendant qu’ils continuent à négocier les réformes de Sarkozy. Tout ceci n’a qu’un seul effet : le gouvernement peut continuer ses attaques, le patronat peut continuer à licencier. Et ce ne sont pas les élections européennes, ni plus tard les élections régionales, qui y changeront quelque chose.

Dans les syndicats, dans les collectifs qui se constituent, dans les assemblées générales et les manifestations, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour imposer :

Pour la défense de toutes les revendications

Que les dirigeants syndicaux appellent dans l’unité à la grève générale

Pour chasser Sarkozy et le gouvernement, pour en finir avec sa politique au service des patrons, des banquiers et des actionnaires !

Que disent les manifestants ? Tout est à nous, rien n’est à eux ! La crise, c’est eux, la solution, c’est nous ! Cela signifie qu’il faut un autre gouvernement :

Un gouvernement des travailleurs qui s’attaque au capitalisme, réorganise l’économie pour la satisfaction des besoins et des revendications de l’immense majorité de la population.

Pour y parvenir, il faut construire un Parti Ouvrier Révolutionnaire

Pour combattre l’impérialisme qui soutient les dictatures et pillent les pays dominés, pour unifier les luttes des travailleurs du monde entier, abattre le capitalisme qui précipite la planète dans la misère et le chaos, il faut construire une Internationale Ouvrière Révolutionnaire.

Le CCI(T) qui est un des éléments de cette construction, propose la discussion la plus ouverte sur cette question. Prenez contact. Site du CCI(T)

1 mai 2009

Réponse à Yacedjaz: sur l'organisation du parti

Cet article est une réponse à l'article de Yacedjaz sur son blog "Au-dessous du balcon", article qui répondait lui-même à des commentaires que j'y avais laissé .

 

Sous un texte d'Amadeo  Bordiga, daté de 1925, et consacré aux rapports entre nature de classe du parti et mode d'organisation,et entre intellectuels et ouvriers, il m'avait semble trouver une contradiction dans la position de Bordiga qui d'une part, affirme, à mon sens très justement, que "Le caractère révolutionnaire du parti est déterminé par des rapports de forces sociales et par des processus politiques et non par la forme ou le type d’organisation", mais d'autre part critique l'organisation du parti en cellules:  "Notre critique du système des cellules nous porte à le juger vicié de fédéralisme". 

 

Par "fédéralisme", il faut surtout entendre, comme le souligne Yacedjaz "le particularisme de catégories": les intérêts particuliers des ouvriers d'une usine déterminée, renforcés par l'organisation en cellules, s'opposeraient aux intérêts généraux et révolutionnaires de la classe ouvrière. C'est là l'un des reproches, je crois,  qu'adressaient les marxistes révolutionnaires aux réformistes sociaux-démocrates qui, s'appuyaient sur les intérêts particuliers de  "l'aristocratie ouvrière" pour s'opposer aux intérêts généraux de la classe.

 

Dans sa réponse, Yacedjaz souligne que  "ne pas être déterminant’’ dans la nature d’une chose, et ‘‘altérer (déterminer négativement)’’ la nature de cette chose ne sont pas des opérations équivalentes". Et il prend l'exemple de la non- détermination de l'embryon humain par des radiations nucléaires, qui n'empêche pas, parfois, son altération, sa détermination négative. Excellent exemple que l'on peut élargir à toute la génétique: les gênes ne déterminent jamais positivement le comportement humain, mais peuvent, dans le cas de certaines déformations ou maladies graves, le déterminer négativement.

Déjà là, on pourrait nuancer: en effet, l'évolution des espèces, détermination positive donc des espèces actuelles, repose pour une part sur les modifications aléatoires -et négatives- d'éléments particuliers du code génétique par le rayonnement cosmique, et d'autre part sur l'interaction entre ces modifications et les déterminations -négatives aussi- de l'organisme dans son ensemble et du milieu. Le négatif se change en positif.

J'étais néanmoins enclin à lui donner raison sur ce point, mais sa conclusion me pose alors problème: "il existe, sans aucune contradiction, des formes d’organisation qui altèrent (déterminent négativement) la nature révolutionnaire du parti,". [...] Ces formes sont évidemment les formes bourgeoises d’organisation et leur plagiat, où la division de l’intérêt particulier — donc, la hiérarchie, l’exploitation, renaît sans cesse à travers les médiations diverses qui empêchent le prolétaire d’avoir un lien en personne avec le pouvoir central de sa classe".

 

Autrement dit, ces formes d'organisation sont par essence bourgeoises: on est alors loin d'une détermination négative, et on retombe, me semble-t-il, sur la contradiction initiale: le caractère bourgeois du parti se trouve déterminé  par la forme ou le type d’organisation et non par des rapports de forces sociales et par des processus politiques.

 

La recherche de contradictions dans toute pensée est toujours essentielle (on en verra un exemple dans les textes sur "Le hasard et la nécessité", annoncés il y a peu, à propos de la position d'Engels vis-à-vis du déterminisme), car elles permettent d'avancer.  Mais il ne s'agit pas là de porter un jugement: elles sont le signe qu'il y a là un problème, souvent important, non une erreur.  Un problème qu'il s'agit de surmonter, et c'est cela qui est intéressant.

 

Plutôt donc que de chercher à savoir si Bordiga s'est ou non contredit, je vais revenir sur sa position sur l'organisation en cellules.

Rappelons-là d'abord, dans toutes ses nuances: (du moins dans ce texte: je ne suis pas, loin s'en faut, un spécialiste de cet auteur) : "Mais la discussion aurait dû porter sur notre doute, quant à l’organisation sur la base des cellules d’usine – haussées au rang d’organisation fondamentale et même exclusive du parti – et pouvant répondre à la fonction fondamentale du parti : dépasser l’individualisme et le particularisme de catégories.On voit bien que le problème, au moins ici, repose sur le caractère exclusif de l'organisation en cellules, et non sur l'existence de cellules dans les modes d'organisation.

 

Comme je le disais dans mon commentaire, la nature de classe d'une organisation s'exprime "dans son intervention ou non dans les luttes: intervient-t-elle dans les luttes quotidiennes des travailleurs ou se contente-t-elle de prodiguer des conseils extérieurs?- et la ligne politique qu'elle défend : indépendance de classe, défense des intérêts des travailleurs, depuis les luttes immédiates jusqu'aux tâches révolutionnaires."

 

Les cellules d'usine sont un outil essentiel pour l'intervention pratique dans les luttes quotidiennes, car celles-ci doivent être menées en fonction des données particulières, concrètes, où elles se déroulent. D'autre part, c'est d'abord à travers elles que les travailleurs entrent en contact avec le parti. C'est bien plus souvent, surtout chez les travailleurs, moins chez les intellectuels, par l'action commune dans la lutte que les travailleurs peuvent prendre conscience de la nécessité d'une organisation, plutôt que par l'adhésion individuelle à une idéologie ou un programme.

 

Mais l'organisation exclusive en cellules pose un problème: elle isole les militants en sous-unités, ignorant les débats et questions qui se posent ailleurs, empêchant les contacts individuels, libres. Ces contacts libres ou organisés ont une double fonction: développer la prise du conscience des intérêts généraux, et non plus particuliers - c'est le problème que soulève là Bordiga -"le dépassement du particularisme des catégories"- et nourrir le fonctionnement démocratique, comme je le soulignais dans mon article sur le centralisme démocratique : "La structure du parti doit favoriser les échanges libres entre les militants, depuis les forums du net jusqu'aux assemblées et aux réseaux divers qui peuvent parcourir l'organisation dans son ensemble". Ou, dans les termes de Yacedjaz, permettre au "prolétaire d’avoir un lien en personne avec le pouvoir central de sa classe".

 

Autrement dit, l'organisation en cellules n'est ni positive ni négative, ou plutôt elle est les deux. La seule manière d'éliminer cette "détermination négative" est de développer dans le fonctionnement du parti la négation de cette négation, les contacts individuels, les réseaux libres, les assemblées locales et générales, les stages de rencontres, etc. La vie d'un parti ne se résume d'ailleurs pas à son organisation: elle contient, ou doit contenir aussi une part informelle, spontanée, inorganisée.

 

Bien évidemment, aucun type d'organisation ne sera jamais une garantie contre une dérive bureaucratique ou une altération de la nature de classe, puisque "le caractère révolutionnaire du parti est déterminé par des rapports de forces sociales et par des processus politiques".

 

Mais justement, le parti le plus capable de garder son caractère révolutionnaire sera celui qui, par son mode d'organisation, permettra sa plus forte détermination par les luttes des ouvriers, celui qui favorisera le flux réciproque entre les luttes pratiques, concrètes, quotidiennes, spontanées et l'organisation centralisée forgeant le programme révolutionnaire, expression des intérêts  généraux, et ouvrant la voie pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

 

Deux types d'organisation sont donc à proscrire. Un parti exclusivement fondé sur les cellules, pour les raisons dites plus haut. Et un parti qui refuseraient ce mode d'organisation, et se couperait ainsi des luttes. Sans cet enracinement dans les conditions particulières, "catégorielles" des ouvriers,  le parti se replie sur lui-même et se ferme aux déterminations par les luttes. Il ne devient pas nécessairement bourgeois, mais il devient certainement inutile.

 

En effet, derrière ce débat sur l'organisation, c'est la conception même du rapport entre intérêts particuliers et généraux qui est en jeu, et qui doit être abordé selon les mêmes méthodes transitoires dont on a parlé, à propos de la "Révolution permanente".  C'est la question de savoir si le dépassement des "intérêts de catégorie" est acquis une fois pour toutes dans le parti révolutionnaire, ou si la fonction de celui-ci est de transformer constamment et consciemment les intérêts particuliers en intérêts généraux. Dans le premier cas, l'expression de ces intérêts particuliers doit être banni, dans le second, elle doit pouvoir se former, et c'est précisément l'une des fonctions essentielles des cellules. Dans le premier cas, on adopte une vision manichéenne, des rapports entre particulier et général, dans le second, on adopte une vision dialectique, dimension fondamentale du marxisme révolutionnaire.

 

En résumé, il n'existe pas de formes d'organisation "bourgeoise" ou "ouvrière".  Il n'y a en pas de bonnes et de mauvaises, mais il y en a de meilleures et de moins bonnes. Il peut arriver, dans certaines circonstances, qu'une organisation exclusivement basé sur le système des cellules joue un rôle révolutionnaire, comme cela peut arriver pour une organisation ignorant ce type d'organisation. Mais il est du devoir des révolutionnaires de ne négliger aucune des armes dont il dispose pour lutter contre la tyrannie bourgeoise et pour établir la démocratie ouvrière.

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30 avril 2009

Editions Aden - Saint-Just et Rimbaud

De 17h à 20h ce soir 30 avril: dédicace de Frédéric Thomas dans la librairie Aden (44 Antoine Bréart, Saint-Gilles, Bruxelles)  pour son Rimbaud-St-Just.

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En novembre 1792, à 25 ans, Saint-Just, le plus jeune député de la Convention, à peine élu, se fait connaître par son discours lors du procès du roi, affirmant : « On ne peut point régner innocemment ». À partir de là, sa vie se confond avec les aléas de la Révolution. Moins de deux ans plus tard, le 9 thermidor, il est condamné par cette même Convention, qu’il affronte, des heures durant, silencieux et les bras croisés. Le lendemain, il est guillotiné.

Rimbaud a écrit ses poèmes en l’espace de quelques années, de 16 à 21 ans, dans les éclats de la fin de l’empire, de la guerre franco-prussienne, du soulèvement de la Commune de Paris puis de son écrasement, et du retour à l’ordre. Après, il tourne le dos à la littérature, voyage et disparaît aux confins de la corne d’Afrique, avant de revenir, malade, se faire amputer et mourir à Marseille.

Parcours fulgurants, destins exceptionnels. Par-delà leur jeunesse, le silence dédaigneux de la fin, ils se rejoignent dans le projet, au croisement de la politique et de la poésie, de régénérer les êtres et le monde. Ce livre voudrait proposer une lecture croisée de l’œuvre et de la vie de Rimbaud et de Saint-Just, autour de quelques moments charnières et de thèmes communs (la fraternité, l’harmonie, le bouleversement de la société) en les réinterrogeant à partir du silence final.

L’ambition est de mettre à jour les correspondances entre les deux hommes et de donner envie de les lire et de les relire, en montrant la radicalité et la force de leur action à la lumière d’aujourd’hui.

Frédéric Thomas, docteur en philosophie politique, est déjà l’auteur de Rimbaud et Marx (Harmattan, 2007). Il est par ailleurs rédacteur pour la revue Dissidences.

29 avril 2009

Libérez nos camarades!

COMMUNIQUE DU CCI(T)

 

 

 

Lundi 27 avril, la Présidence de l’Université Lyon 2 organisait un vote à bulletin secret pour la reprise des cours. Les Assemblées générales étudiantes de Bron et des Quais, ainsi que les doctorants ayant appelé au boycott de ce scrutin, c’est avec le renfort de vigiles privés que la Présidence a tenté de l’organiser. Ceux-ci s’en sont alors pris violemment aux étudiants qui manifestaient devant les bureaux de vote. 

 

Alors que les étudiants sortaient de l’Université en cortège, la police a chargé et arrêté quatre étudiants. Deux ont été relâchés, mais deux étudiants, militants du syndicat FSE, connus pour leur engagement dans la grève, ont été placés en garde à vue et doivent être présentés en comparution immédiate au Tribunal le 29 avril, alors même qu’ils n’étaient pas présents sur les lieux au moment des incidents avec les vigiles !

 

Face aux protestations, aux mouvements de grèves et de manifestations qui sont chaque jour plus nombreux dans le pays, le gouvernement tente de criminaliser les mouvements sociaux et de faire passer les militants syndicaux ou politiques pour des délinquants.

Unité de toutes les organisations syndicales, politiques et démocratiques pour la libération immédiate des deux militants du syndicat étudiant FSE et l’abandon de toutes charges contre eux !  

Le 28 avril 2009

Manifestation du 19 mars 2009

- Manifestation du 19 mars à Lyon -
Photo: Julie Digard (cliquez sur la photo pour voir sa page sur Ipernity)

27 avril 2009

Julien Coupat - pétition: "Je déballe ma bibliothèque"

Ce qui suit tient un peu du réflexe corporatiste: des écrivains réagissent à la perquisition de la bibliothèque de Julien Coupat, quelque temps après la convocation de l'éditeur de "L'insurrection qui vient".
Corporatiste, mais néanmoins salutaire: cela permet de rappeler qu'à travers le cas de Julien Coupat, l'idéologie antiterroriste actuelle vise à criminaliser toute forme d'opposition, à faire de toute pensée critique un motif de suspicion.

C'est s'attaquer au maillon faible pour tester les résistances, et habituer l'opinion à considérer comme dangereux tout opposant. C'est l'un des chaînons du terrorisme d'Etat qui s'installe là, avec pour véritable adversaire non quelques intellectuels isolés, mais la classe ouvrière, dont la puissance potentielle effraie les classes dirigeantes.

Sur la peur comme moyen de gouvernement, voir sur ce blog:
Gouverner par la peur et la haine; la prison pour les enfants de 12 ans
Voir aussi le paragraphe: "Nos ennemis sont des criminels" dans Crise économique 4 : idéologie.

S'opposer à cette criminalisation de la pensée critique, c'est donc s'opposer au réarmement idéologique et policier de la bourgeoisie, quels que soient les désaccords ou le peu d'intérêt que l'on porte à des démarches isolées et divisantes comme celles du "comité invisible".

Quant au motif initial de la détention de Coupat, les "sabotages", à propos desquels pas le moindre indice de preuve ne semble avoir été trouvé, voir, parmi d'autres, l'article d'Indymédia  "L’antiterrorisme est la forme moderne du procès en sorcellerie" . Et rappelons qu'en matière de sabotage, personne ne pourra jamais égaler le libéralisme et la recherche effrénée de profits: si la SNCF, à l'époque des faits, a connu de nombreux dysfonctionnements, elle le doit bien plus à la volonté de soumettre ce "service public" aux exigences du marché, au sous-investissement en équipement et en personnel, qu'à quelques actes de sabotages.

Voici le texte de la "Maison des écrivains et de la littérature"

Chers auteurs, Nous vous invitons à prendre connaissance – et à le soutenir, si vous le souhaitez – du texte intitulé, à l'instar de Walter Benjamin, "Je déballe ma bibliothèque". Ce texte, rédigé à la suite de la perquisition de la bibliothèque de Julien Coupat, s'il réunit assez de signataires, sera envoyé à la presse.

Je déballe ma bibliothèque

Nos bibliothèques sont toutes pleines à craquer de livres subversifs. De ceux là, nous vient l’inspiration. De ceux-là, nous apprenons à penser. De ceux-là, nous apprenons à douter. Mais aussi à croire. De ceux-là, nous apprenons à lire le monde, à le délier aussi. A ceux-là, nous tenons, tant ils nous tiennent en vie. Ces livres que nous lisons, que nous aimons sont tous, par essence, dans le fond comme dans la forme – par le rapport qu’ils entretiennent à la langue, enracinée dans le vivant –, subversifs.

Ainsi, pour dénoncer le délit de lecture dont est accusé Julien Coupat, nous entendons ouvertement déballer nos bibliothèques, à l’instar de Walter Benjamin.

Pour signer la pétition:  Maison des écrivains et de la littérature:

26 avril 2009

Les lois de l'histoire 2

Le début de cet article est ici: Les lois de l'histoire 1

Pour ce qui est de la "loi du plus fort", Engels a répondu dans l'Anti-Dühring, chapitre II à IV de la section consacrée à l'économie politique. Bien évidemment, le plus fort l'emporte sur le plus faible. mais cela n'explique rien, et en particulier pourquoi il existe, au sens social et économique, et de là au sens politique, des faibles et des forts.

Mais c'est aussi dans le quatrième chapitre qu'Engels affirme que:

"Tant que la population qui travaille effectivement est tellement accaparée par son travail nécessaire qu'il ne lui reste plus de temps pour pourvoir aux affaires communes de la société, - direction du travail, affaires de l'État, questions juridiques, art, science, etc., - il a toujours fallu une classe particulière qui, libérée du travail effectif, puisse pourvoir à ces affaires [souligné par moi]; ce qui ne l'a jamais empêchée d'imposer à son propre profit aux masses travailleuses une charge de travail de plus en plus lourde. Seul, l'énorme accroissement des forces productives atteint par la grande industrie permet de répartir le travail sur tous les membres de la société sans exception, et par là, de limiter le temps de travail de chacun de façon qu'il reste à tous suffisamment de temps libre pour prendre  part aux affaires générales de la société, théoriques autant que pratiques. C'est donc maintenant seulement que toute classe dominante et exploiteuse est devenue superflue, voire un obstacle au développement social, et c'est maintenant seulement qu'elle sera impitoyablement éliminée, si maîtresse qu'elle soit encore de la “violence immédiate ”.

Ce passage justifiait l'affirmation suivante:

"Nous ne devrions jamais oublier que toute notre évolution économique, politique et intellectuelle a pour condition préalable une situation dans laquelle l'esclavage était tout aussi nécessaire que généralement admis. Dans ce sens, nous avons le droit de dire: sans esclavage antique, pas de socialisme moderne."

Il entre là, certes sur une forme très différente de celle du mythe du progrès, la question du développement des forces productives comme moteur de l'histoire, telle qu'elle fut mise en lumière par Marx. Engels ajoute:

"Tels les hommes sortent primitivement du règne animal, - au sens étroit, - tels ils entrent dans l'histoire: encore à demi animaux, grossiers, impuissants encore en face des forces de la nature, ignorants encore de leurs propres forces; par conséquent, pauvres comme les animaux et à peine plus productifs qu'eux. Il règne alors une certaine égalité des conditions d'existence et, pour les chefs de famille, aussi une sorte d'égalité dans la position sociale."

Pour écrire ses lignes, Engels se base sur les connaissances de son époque, il y a un siècle et demi. En matière de préhistoire, la recherche a fait depuis d'importantes avancées. L'histoire des sociétés primitives, société de chasseurs-cueilleurs ou "sociétés prédatrices", s'étend, selon les connaissances actuelles, sur 190 000 ans, soit les 19/20es de l'histoire de notre espèce. Cette histoire, nous ne pouvons qu'en rétablir les grandes lignes. Mais elles suffisent déjà à poser un problème, quant à la relation entre temps libre et faible niveau des forces productives.

Si l'on peut imaginer en effet, qu'au début de cette histoire, les groupes humains devaient consacrer l'essentiel de leur temps à la production, à la transformation de produits naturels en ressources alimentaires par la chasse, la cueillette, et d'autres travaux comme la cuisson, le partage, etc., ces sociétés ont acquis, par l'accumulation progressive de savoirs et techniques une productivité suffisante pour dégager un temps libre à faire pâlir d'envie les participants forcés à notre contemporaine "société de loisirs", comme l'a montré Marshall Sahlins dans "Age de pierre, âge d'abondance". C'est d'ailleurs vraisemblablement cette richesse du temps libre qui a permis le développement de la culture et du langage.

Le rôle de l'esclavage est aussi à revoir: si l'esclavage domestique, et de là le commerce d'esclaves ou la prise d'esclaves est présente dans la plupart des sociétés inégalitaires, à différentes époques, il ne joue un rôle productif fondamental que dans certaines périodes et certaines sociétés: les républiques romaines et grecques; les VIIe- Xe siècle dans la société abbasside, surtout au sud de l'Irak actuel; l'Amérique du XVIIe au XIXe siècles. Dans la Chine et l'Inde, soit l'essentile de l'humanité, l'esclavage ne semble pas avoir joué un rôle fondamental, bien qu'il y ait toujours existé. Il ne constitue en rien un "stade particulier" de l'histoire, et est surtout adapté à certains types d'activités productrices (coton, sucre, olive, mines et carrières, etc.) dans certaines structures sociales, ou à certaines situations démographiques (manque de main d'oeuvre libre).

A titre d'exemple quant à ce que les connaissances modernes nous apprenent, rappelons que les pyramides d'Egypte, longtemps vue comme un produit de l'esclavage antique (à cause de la vision esclavagiste des tardifs témoins grecs), ont en fait été construites par des armées de paysans libres, dans leur temps non productif, et par des ouvriers-artisans. 

Il n'en reste pas moins que des sociétés premières, socialement égalitaires, sont sorties les sociétés inégalitaires où le temps non-productif n'a cessé de régresser face au temps productif. L'exemple des paysans égyptiens montre que "temps non-productif" dans les sociétés centralisées n'est pas nécessairement équivalent à "temps libre". De même, chacun des types de sociétés qui se succèdent développe à un niveau plus élevé les forces de production.

Le développement des forces de production signe le sens irréversible de l'histoire de sociétés humaines. Mais il est d'abord le produit de cette histoire, et non sa loi immanente. La nécessité historique est une propriété émergente des sociétés humaines.

Pour comprendre comment l'histoire produit sa nécessité, il faut revenir aux notions plus générales de nécessité et de déterminisme. Ce sera l'objet d'une autre série d'articles, "hasard et nécessité", où nous reviendrons encore à Engels, mais cette fois à sa "Dialectique de la nature".

15 avril 2009

Grèce: retour sur les événements 4 et fin

6 Le rôle de l'extrême-gauche

Le syndicat GSEE n'avait cependant pas accepté la demande du gouvernement d'annuler la grève générale elle-même: elle aurait risqué de perdre tout contrôle sur le mouvement ouvrier. Ce refus tactique suffit à certains groupes, dont l'organisation-sœur de la LCR, l'OKDE-Spartacos,  pour prétendre que les syndicats avaient « résisté aux pressions du gouvernement».

Un article paru le 9 ou le 10 décembre sur le site du NPA et de Rouge, écrit par l'un des membres de l'OKDE-Spartacos, Andreas Sartzekis, affirmait en plus que « la grève générale de 24 heures sera le meilleur moyen de faire prendre conscience du lien entre la crise capitaliste et la répression policière menée par le gouvernement de la droite libérale». Autrement dit, laissons faire les directions bureaucratiques, elles montrent la voie! Le 18 décembre, un nouvel article évoquait cette fois le « recul des directions syndicales », sans souffler mot de l'occupation des locaux du GSEE qui se déroulait à ce moment-là.

La Grèce compte de nombreuses organisations d'extrême-gauche, essentiellement regroupées autour de trois coalitions, Syriza, (« coalition de la gauche radicale », comprenant entre autres les « eurocommunistes » et qui obtint plus de 5% aux dernières élections) , le MERA(« front de la gauche radicale ») et l'ENANTIA (« Gauche unie anti-capitaliste », comprenant l'OKDE-Spartacos). Vu le peu d'informations dont on dispose, il est impossible d'établir le rôle de chacun.

La presse bourgeoise n'a parlé que de Syriza, qui après avoir un temps voulu maintenir la manifestation du 10 décembre, a cédé aux pressions des grands partis réformistes et aux bureaucraties syndicales et a renoncé à se joindre aux courants plus radicaux. Les informations données dans Rouge montrent que l'OKDE-Spartacos a suivi la ligne habituelle de cette tendance politique:  suivre jusqu'aux limites du possible les bureaucraties syndicales, pour ne les dénoncer que quand leur trahison devient une évidence, et sans jamais proposer d'autre alternative.

Selon un autre groupe trotskiste, l'EEK, membre du MERA, et qui constitue avec les anarchistes et la presse bourgeoise notre principale source d'informations sur les événements, un conflit a opposé l'EEK aux principales autres organisations membres du MERA et à l'ENANTIA quant aux perspectives immédiates, particulièrement lors de la manifestation et de la réunion du 31 janvier.

Alors que la majorité des organisations, repoussant toute continuation des actions spontanées, qui manqueraient de « caractère de classe » et prétendant vouloir offrir une « proposition politique centrale », avec pour seules perspectives des élections anticipées, selon un modèle d'union des révolutionnaires et des réformistes inspirés du NPA français, l'EEK voulait mettre en avant le mot d'ordre de gouvernement ouvrier basé sur la mobilisation des masses, avec pour objectif des mesures transitoires.

7 Le rôle des anarchistes

Il ne fait guère de doutes que les anarchistes, traditionnellement fort dans la jeunesse grecque, ont joué un rôle important dans les événements, comme dans les tentatives de les étendre à d'autres pays. La presse bourgeoise s'est naturellement fait l'écho de ce rôle, pour peindre les diverses actions spontanées des étudiants et des travailleurs comme émanant d'activistes isolés et coupés des masses.

Les anarchistes ne se sont pas contentés de participer aux actions. Sans doute en ont-ils initiés certaines. Selon leur propre témoignages, ils ont aussi tenté d'encadrer, pour les protéger, les plus jeunes lycéens qui partaient affronter avec l'inconscience de leur âge la violence policière. Toute l'information venue d'eux, et largement diffusée par internet insiste sur leur rôle essentiel dans les luttes (se gardant bien, généralement, de mentionner les autres intervenants d'extrême-gauche).

Mais en même temps, ils ne cessaient de proclamer, en accord avec la doctrine anarchiste, qu'ils ne voulaient pas jouer le « rôle d'avant-garde »! Mais encadrer, initier, jouer un rôle important dans les luttes, qu'est-ce sinon jouer, fut-ce très mal, un rôle d'avant-garde? C'est là la contradiction inhérente à toute intervention anarchiste dans les luttes sociales.

Le courage, la détermination, l'efficacité immédiate parfois, ne leur manquent pas. Mais leur refus d'assumer leur rôle d'avant-garde prive le mouvement de masse de toute perspective, et les entraîne dans l'impasse.  Ils participent ainsi au découragement général. Ils nourrissent la division entre les masses laissées au mains des directions bureaucratiques et les individus radicalisés qui n'ont d'autres perspectives que des affrontements de plus en plus violents avec les forces de police et des actions ponctuelles contre les « symboles » du pouvoir économique et politique.

Tandis que les anarchistes s'attaquent aux symboles du pouvoir bourgeois, la réalité de ce pouvoir, elle, peut s'affermir, avec la complicité des réformistes, des bureaucrates et des pseudo-révolutionnaires timorés.

9 Conclusions

Tandis que les organisations de la gauche radicale ergotent sur le « caractère de classe » des luttes, les gouvernements bourgeois, tout en blâmant les « éléments incontrôlés », ont bien compris la nature des événements grecs, directement liées à la politique néolibérale que le capitalisme tente d'imposer à travers le monde, poussé dans le dos par la crise de surproduction qu'il traverse.

Sans l'aide déterminée des bureaucraties syndicales, appuyées idéologiquement par les organisations politiques réformistes, la jeunesse grecque aurait pu accomplir l'union avec les luttes des travailleurs et menacer ainsi l'État bourgeois.

La gauche radicale a d'abord couvert aussi longtemps que possible  la volonté et l'action des bureaucrates, qui mettaient tout en œuvre pour défendre l'État bourgeois et visaient à dénier tout contenu de classe à la lutte. Cette même « gauche de la gauche », prend ensuite cette volonté des bureaucrate pour un fait objectif inéluctable, sur lequel elle base ses perspectives réformistes et électoralistes, selon le vieux principe de la lutte par étapes: les réformes d'abord, la lutte pour la prise du pouvoir plus tard. Beaucoup plus tard. Trop tard.

Les affrontements directs contre l'État bourgeois, non pas des seuls éléments « incontrôlés », mais de toute la jeunesse et des courants les plus déterminés des travailleurs, la déconsidération de l'État bourgeois aux yeux de larges couches de la population, la répression ouverte et les menaces d'état d'urgence, la quasi-banqueroute de l'État, tout cela mettait au centre des luttes dès les premiers jours la question du pouvoir.

Le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier », appuyé par le mouvements des masses, avec pour programme les mesures transitoires essentielles, comme l'expropriation des banques et la nationalisation des entreprises qui licencient, le tout sous contrôle ouvrier; la répudiation de la dette internationale; la sortie de l'OTAN; et des mesures immédiates comme la libération des détenus; le  refinancement de l'enseignement, des retraites, des soins de santé, tout cela devait être mis en avant dès le 10 décembre, avec l'entrée en scène du mouvement ouvrier et les premières tentatives de jonction entre jeunesse et travailleurs, soit au début de l'offensive. Et non, pas comme semble l'avoir fait l'EEK, le 31 janvier, quand le mouvement est en plein recul.

Et pour que ce mot d'ordre ait un sens, il fallait lutter pour l'union entre jeunesse et mouvement ouvrier, en initiant, sur le modèle de ce qui s'ébauchait spontanément, les assemblées conjointes et les déclarations communes. Il fallait lutter ouvertement contre les manœuvres des directions syndicales et se battre dans les syndicats pour imposer la grève générale illimitée, qui aurait mis la classe ouvrière à la tête de la lutte. De tels développements n'auraient pas manqué de faire du combat des ouvriers et de la jeunesse un pôle d'attraction pour les couches populaires victimes aussi de la politique néolibérale, comme les petits paysans, qui étaient prêts à se battre contre le gouvernement.

Pendant ces quelques semaines de climat insurrectionnel généralisé, l'État bourgeois n'a pas été mis en danger, comme le prouve la non-application de l'état d'urgence, brièvement envisagé. La révolution n'était pas à l'ordre du jour. Pourquoi? Les conditions économiques et sociales étaient réunies. L'État bourgeois était faible. Les directions réformistes et bureaucratiques ont pu empêcher la radicalisation des masses en restant à la tête du mouvement ouvrier parce qu'aucune force importante ne s'est sérieusement dressée contre elles. La gauche de la gauche a refusé le combat par opportunisme, les anarchistes par principe.

Ce qui a manqué, c'est un parti révolutionnaire fort, capable d'affronter directement les directions syndicales, de donner un caractère de classe à la lutte, de proposer des perspectives claires et déterminées et de relier les luttes grecques aux luttes dans les autres pays contre la même politique ultralibérale.

Construire un parti révolutionnaire est aujourd'hui plus que jamais la nécessité première dans la lutte contre le capitalisme et ses alliés. Cette construction ne pourra se faire qu'à travers l'intervention dans les luttes existantes, lutte contre les bureaucraties syndicales et les organisations réformistes, lutte pour des perspectives politiques et sociales révolutionnaires.

C'est en ce sens que les récents événements en Grèce ne sont pas spécifiques à ce pays, mais exemplaires de la situation historique actuelle, marquée par la crise de direction du mouvement ouvrier.

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