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17 mars 2009

Sur la décroissance: 2 causes et conséquences

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Sur la décroissance 1

A certains moments de sa vision de l'histoire, Fernand Braudel définit trois types de temps: le temps bref des événements, le temps moyen des conjonctures sociales et économiques, le temps long des "civilisations". Sous-entendue l'idée, inévitablement liée , d'une échelle de causalité, de déterminisme: si l'évènement ne peut se comprendre que pris dans son contexte socio-économique, celui-ci, à son tour, ne peut se comprendre qu'en relation avec la civilisation dans laquelle il s'inscrit, civilisation elle-même induite du "temps presque immobile" du milieu géographique où elles s'inscrivent. Ce faisant, il paraît avoir une vision à la fois plus large et plus profonde de l'histoire que le marxisme, qui se limiterait au rythme moyen, économique et social. Les historiens des Annales opposaient volontiers leurs conception "totale" des sociétés à une vision marxiste classique qui, exclusivement économico-sociale serait "partielle".

A l'appui de cette conception, l'étude des comportements et croyances dans diverses aires culturelles montre que le comportement, par exemple, d'un chinois sous le maoïsme est bien plus proche d'un chinois antique que d'un européen contemporain. Les exemples sont nombreux.

Cet accent sur les comportements, on le retrouve dans nombreux courants de pensée modernes: l'éthologie, qui, partie des remarquables études de Konrad Lorenz sur le comportement animal, se prétend valide dans le domaine humain, en oubliant que la culture s'empare du donné animal pour en modifier le sens. Le behaviorisme en psychologie repose sur ce même accent "comportemental". Il y a un point commun dans l'opposition entre la vision "totalisante" des Annales et le marxisme, comme entre le behaviorisme et la psychanalyse: l'accent mis sur les phénomènes et les conséquences chez les premiers, alors que psychanalyse et marxisme recherchent moteurs et causes.

Les constantes culturelles et comportementales des civilisations, par-delà les changements économico-sociaux, ne sont pour une bonne part que des apparences, un donné ouvert et non-signifiant en soi. La signification et les conséquences  des actes et pensées sur la vie humaine sont d'abord donnés par le contexte économico-social. Les comportements sont la langue porteuse d'un sens élaboré dans les rapports sociaux.

A cette remarque, il  convient d'apporter un correctif essentiel: il ne s'agit pas, comme le font certains marxistes et certains psychanalystes de tomber dans le travers inverse à celui du comportementalisme: ne voir la vérité que dans le « caché », que dans les causes, et négliger entre autre l'effet retour des conséquences sur les causes. L'élément déterminant, premier, de la vie sociale des êtres sont les rapports de production. Mais ceux-ci ne peuvent s'exprimer qu'à travers le donné circonstanciel, l'héritage géographique et culturel de chaque société, qui à son tour influe sur le destin de ces mécanismes fondamentaux, sans pour autant en modifier les données fondamentales. Lorsqu'il s'agit de déterminer les modes d'actions, la prise en compte de ces différences est essentielle.   

En plus de l'accent mis sur le comportement, la conception braudelienne de l'histoire a en commun avec la pensée décroissante de considérer l'environnement naturel comme plus fondamental que les rapports sociaux. Il y a là, d'abord, une évidence: l'homme est inscrit dans la nature et ne peut aller au-delà des contraintes et limites générales de celle-ci. Mais c'est précisément ce que signifie l'un des pôles du rôle fondamental des modes de production. Si le marxisme, qui se veut matérialiste, considère que c'est là que se trouve le déterminant essentiel de la vie sociale, c'est précisément parce que c'est à travers les modes de production que la société établit son rapport à la nature, avec les bases matérielles de son existence.

Les modes de production n'épuisent pas le rapport de l'homme à la nature: c'est là le rapport médiat. Mais le rapport direct, individuel, n'est en rien la cause des problèmes écologiques dénoncés entre autres par les décroissants. D'autre part, ce rapport direct est généralement très réduit dans la société actuelle par suite même de l'aliénation sociale qui est à la base de la société: l'homme moderne n'entre en relation avec la nature que par la médiation sociale. Les décroissants ont parfaitement raison d'insister là-dessus dans leur critique de la société présente, mais leur erreur est de croire que le rétablissement de rapports non aliénés puisse s'opérer sans changement à l'autre pôle de la question des modes de productions, les rapports de production, la société de classes.

L'homme ne peut s'opposer aux limites de la nature, c'est là-même la base de toute conception matérialiste. Mais la nature n'est exigeante vis-à-vis de l'homme que, précisément, lorsqu'il approche ces limites. Elle est hors cela peu déterminante, laissant à l'homme une vaste gamme de « possibles », de variations dans le rapport qu'il entretiendra avec elle. L'espèce humaine se caractérise par sa capacité à modifier la nature, ce qui lui permet d'échapper à toute détermination naturelle stricte de son comportement et de son organisation sociale, tant qu'il n'entre pas en conflit avec les limites.

Sa capacité à changer le cours de la nature n'a cessé de s'accroître, par le développement croissant des forces de production. Cette capacité croissante lui a permis de croire en l'inexistence de limites, aveuglement nourri par la nécessité de justifier les rapports de production. La situation critique où il se trouve aujourd'hui dans son rapport à la nature est un « retour de flammes », le prix payé par cet aveuglement. Mais la nécessité interne du capitalisme d'augmenter sans cesse la production ne peut que le conduire à persister et s'enfoncer dans cet aveuglement, sauf lorsque ces limites se manifestent directement. Là, il réagira toujours, mais toujours après-coup, c'est-à-dire souvent trop tard. Le capitalisme est incompatible avec une vision à long terme de l'humanité, et laissé à lui-même, ne peut que conduire à la destruction définitive de l'environnement, et donc de l'homme.

Mais cette manifestation, forcément dramatique, des limites naturelles, n'est pas que ce qui détermine la société humaine, et son rapport à la nature. Quand ce sera le cas, ce sera, précisément, trop tard.

Les rapports des hommes avec l'environnement naturel, géographique et écologique, est donc avant tout, comme les constantes culturelles, le langage, la matière première à travers lesquelles les déterminants sociaux-économiques se manifestent. Ce sont ces derniers qui donnent sens et destin aux rapports avec la nature. Ce sont eux qui orientent l'histoire.

On y reviendra dans l'étude Evolution des sociétés, on l'a déjà esquissé dans l'Histoire du monde: les différents stades de l'histoire se caractérisent par un changement dans le rapport avec la nature: chasseurs-cueilleurs, agriculture, industrie. Mais ces rapports sont eux-mêmes déterminés par les rapports sociaux propres à chaque stade. Plus: chaque type de rapports à la nature est compatible avec différents modes sociaux. Là encore, dans les textes historiques, on  abordera les différents stades de modes de production (villages agricoles, État centralisé, société marchande) qui, tout en étant basés sur l'agriculture, sont déterminés par l'évolution des rapports sociaux qui influent sur les différents types d'agriculture: abattis-brûlis, irrigation, agriculture triennale, sans jachère, etc. De même le rapport industriel à la nature est compatible avec divers rapports de production. Le bouleversement des rapports sociaux qu'impliqueraient le passage à une société communiste induirait là encore un changement dans le rapport social à la nature. Quant au rapport individuel, que la société capitaliste étouffe, il pourrait reprendre parmi des hommes libérés des plus lourdes tâches de production, car ils disposeraient alors des moyens matériels d'une tel changement.

Loin d'être plus radicaux dans la critique de la société présente, les décroissants se limitent à critiquer les conséquences, ignorant les causes. Ils se limitent, pour l'essentiel à la surface, à l'évidence des catastrophes, comme tout réformiste, alors que les révolutionnaires marxistes veulent s'attaquer au mal en profondeur, et l'éradiquer.

Cependant, il est dit en conclusion du premier article de cette série que si les décroissants paraissent plus radicaux, ce serait à cause d'une croyance, commune aux marxistes et à la bourgeoisie, d'une croissance économique infinie. Or, affirme Pierre Latouche, théoricien de la décroissance dans l'extrait vidéo que propose sur son blog Démocrite, « il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini ». Nous touchons là, entre autres, au problème du « productivisme », qui sera abordé dans l'article suivant.

Dans un 4e article, on reviendra sur l'accent mis sur le comportement et la responsabilité individuelle par les décroissants, et ses sources et conséquences idéologiques. Pour enfin conclure dans un cinquième article  sur l'intérêt, pour les marxistes, de la pensée décroissante.

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