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26 décembre 2008

Histoire des sociétés - Introduction 1re partie

Sommaire du blog

Introduction générale à l'histoire des sociétés

Des griots aux marxistes

Dans les sociétés dites primitives,  l'histoire de la "tribu", des origines et événements formateurs, était transmise des aînés aux plus jeunes, souvent par des conteurs spécialisés, dont griots, aèdes et scaldes furent les descendants. Qui sait si l'historien n'est pas le plus vieux métier du monde!  Lorsqu'il fut possible de vérifier par d'autres sources (archéologiques ou écrites) la validité de ces traditions orales, on dut bien constater qu'elles ne le cédaient souvent en rien, en matière d'exactitude, aux traditions écrites anciennes. Cela dit toute l'importance qui leur était accordée.

C'est qu'à travers ces récits, les membres du groupe prenaient conscience de leur unité fondamentale, qui allait bien au-delà des circonstances de la vie en commun.  C'est par eux qu'ils prenaient conscience d'être partie prenante de l'histoire, dépositaire d'un héritage qui leur donnait force tout en leur rappelant certaines exigences nécessaires à la survie du groupe.

Lorsque les premières inégalités structurelles s'imposèrent, dans les sociétés guerrières, ces récits servirent aussi à légitimer le pouvoir des élites, en décrivant leur généalogie particulière qui en faisait les premiers héritiers du passé, et en glorifiant, dans l'histoire du groupe, les actes des ancêtres de telle ou telle dynastie aristocratique.

Et c'est dans le même esprit, pour sceller l'unité culturelle du pays des Hébreux derrière leur aristocratie religieuse exilée à Babylone, que se formèrent définitivement les récits de la Genèse, issus d'anciennes traditions épiques orales voire écrites, et qui constituent le fondement de l'Ancien Testament.

Avec l'avènement du christianisme, ces récits d'une religion nationale se transformèrent en histoire universelle, tout en perdant tout lien avec la réalité événementielle. Par la suite, l'histoire du monde sera pour les auteurs chrétiens  le développement, l'illustration de l'action divine, voire le chemin des hommes vers Dieu, vers le salut et le Jugement dernier. Cette vision téléologique, finaliste de l'histoire  continuera sous une forme plus matérielle lorsque les historiens bourgeois commenceront à la décrire comme un long cheminement vers le progrès, les divers degrés de l'élévation vers Dieu devenant les diverses étapes historiques.

Dans la plupart des civilisations non étatisées, l'histoire est un mélange de genre épique sur les origines, et de vision cyclique ancrée dans le rythme des saisons qui organisent le travail agricole: les sociétés vivent et meurent, vieillissent et se régénèrent. Derrière ces visions cycliques s'exprime une forte volonté conservatrice propre à toutes les civilisations anciennes.

L'Inde, constamment morcelée, prise par ses luttes internes, ses guerres incessantes, et n'ayant connut que très tardivement un État centralisé  durable, n'accorde guère d'importance à l'histoire, qui ne survit que dans les formes très élaborées des épopées anciennes qui nourrissent les grands mythes hindous. 

En Chine, l'histoire du monde a évité toute téléologie, et apparaît surtout comme le déploiement du rapport entre équilibre et déséquilibre. Directement héritière, à travers l'œuvre de Sima Qian (-145/-86), des récits dynastiques anciens,  elle reste tributaire de cette vision, mais lie la question de l'équilibre au bon gouvernement central. Là encore, l'histoire est avant tout le moyen de marquer l'absolue éternité et la légitimité de l'Empire,  seulement soumis aux allers-retours des principes contraires. L'histoire chinoise traditionnelle n'a pas d'orientation et est plus cyclique que linéaire, mais garde de ses liens avec la "bureaucratie céleste"  un indéniable respect pour le relevé circonstancié des faits.

Si la civilisation musulmane s'inscrit dans le contexte monothéiste, universaliste et téléologique décrit plus haut à propos du christianisme, il convient de rappeler que c'est en elle, entre autres à travers l'œuvre de Ibn Khaldoun (1332-1402) que s'exprime pour la première fois une conception évolutionniste et scientifique de l'histoire, fondée sur l'analyse des mécanismes sociaux, et sur les intérêts matériels comme éléments de base de la société, tout en gardant cependant des traits cycliques, liées à l'équilibre et au déséquilibre idéologiques  (religieux) des sociétés, particulièrement dans les rapports entre nomades et sédentaires.

Avec l'apparition de la classe ouvrière sur la scène de l'histoire, au XIXe siècle, le marxisme a inscrit au cœur de toutes recherches historiques, au côté de la notion de lutte des classes héritée des historiens bourgeois, le rôle essentiel du développement des forces productives.  L'histoire devient avant tout celle des modes de production, et des rapports sociaux.

Il serait vain de reprocher à ces diverses versions de l'histoire de légitimer la société dans laquelle ils sont, ou à laquelle ils aspirent, au nom d'une "objectivité neutre", qui n'est jamais que le terme sous lequel se dépeint l'idéologie dominante du moment. La vérité n'est pas un absolu, mais l'expression historique du niveau de connaissances de son époque.

J'en reviens à la tradition orale des récits de la "tribu": raconter l'histoire de "son" peuple, c'est prendre conscience de son unité, de son inscription dans l'histoire, de sa force et de ses exigences. Aujourd'hui, l'histoire a fait de l'humanité entière la tribu de tout homme. Raconter son histoire, en cherchant la vérité telle qu'elle a été définie plus haut, c'est l'amener à la conscience de l'unité de cette tribu, et de l'histoire dont il est l'émanation actuelle. C'est votre histoire que je vais ici tenter de raconter.

Du sens de la découpe

La variabilité de sociétés humaines dans l'espace et le temps, dont il fut question en fin de l'introduction générale pose un problème pour toute tentative de narration globale: faut-il découper l'histoire selon le sens géographique ou selon le sens temporel? Faut-il préserver l'unité géographique, et donc les processus historiques de chaque région, jusqu'au moment où ils entrent en contact avec d'autres processus? Choix généralement admis, qui découpe en tranches géographiques et culturelles l'humanité, sans vraiment pouvoir rendre compte de leurs interactions, comme de prendre la mesure réelle des différences de rythmes ou de cheminement, et qui permet d'accréditer la vision mécaniste des stades historiques, où toute différence semble destinée à s'effacer dans le grand tout final.

Ou au contraire l'unité temporelle, et donc une vision globale, au risque de perdre le fil, mais afin de rendre compte de la réalité même de l'humanité aux instants successifs?

Les deux visions ont leur légitimité: les sociétés humaines ont connus des destins divergents, et se sont longtemps ignorées, quoiqu'à des degrés bien moindres que ce que l'on a longtemps cru. La première vision, locale, permet de mettre à jour les processus dans leur continuité, et donc de les comprendre. Mais la vision globale, outre qu'elle permet d'appréhender mieux les interactions, souligne la diversité des destins, et rappelle que la nécessité en histoire n'est pas une nécessité initiale, mais le produit même, en formation, de l'histoire. Les sociétés primitives contemporaines des sociétés marchandes de l'âge moderne ne sont pas des sociétés "attardées", mais des sociétés qui jusqu'alors ont échappé à la nécessité globale.

Ne pouvant strictement choisir entre les deux niveaux,  il faudra se résoudre aux compromis, entre les approches diachronique et synchronique, du moins entre l'apparition de l'agriculture et la conquête de l'Amérique. Avant, les connaissances ne permettent pas de distinguer les particularités, et l'on s'en tient aux principes généraux. Avec l'agriculture, chaque région du globe entame une histoire propre, mais très tôt des ramifications se tissent qui nous permettront de les suivre pour aller d'un lieu à l'autre, comme elles ont permis à des mondes différents de n'en former peu à peu plus qu'un seul, à l'exception notable jusqu'au XVIe siècle de l'Amérique, restée pour l'essentiel à l'écart des processus historiques mondiaux, malgré des contacts sporadiques. Mais dès cette époque, où l'argent des Amériques extrait par les premiers esclaves d'Afrique fut envoyé en Europe, où il servit, à travers le commerce de luxe, au développement économique de l'Empire de Chine, il ne fait plus guère de doute que l'histoire, tout gonflée qu'elle soit encore de particularismes et de variations, est devenue mondiale.

C'est à cette histoire-là, que vous serez bientôt convié.

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