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12 décembre 2008

Aimé Césaire, beau comme un vaisseau qui brûle

      

 

(déjà publié sur Ipernity, dans les jours qui suivirent la mort du grand poète antillais)

Alors qu'à sa mort, ceux qui sont bien plus les héritiers de Pétain que ceux de Zola et Hugo se sont permis de rendre hommage à l'un des plus grands poètes et révoltés de langue française, il m'a paru intéressant de donner à lire cet échange de lettres, relatif à l'interdiction par les autorités du régime pétainiste de la revue  Tropiques fondée par Césaire et ses amis en 1941.


(source: Tropiques, réédition chez Jean-Michel Place)



Lettre du lieutenant de vaisseau Bayle,

chef du service d'information,

au directeur de la revue Tropiques



Fort-de-France, le 10 mai 1943

Monsieur,

Lorsque Madame Césaire m'a demandé pour un nouveau numéro de Tropiques le papier nécessaire, j'ai tout de suite acquiescé, ne voyant aucune objection, bien au contraire, à la parution d'une revue littéraire et culturelle.

J'en ai, au contraire, de formelles vis-à-vis d'une revue révolutionnaire, raciale et sectaire.

[...]

Depuis Schoelcher, la France s'est engagée dans une politique d'égalité raciale qu'elle n'a pas seulement proclamée, mais qu'elle a plus profondément mise en pratique que n'importe quel pays : de cette politique, vous constituez un vivant témoignage.

[...]

Certes, un long chemin reste encore à parcourir; qui le nierait? [...] Une centralisation excessive, mal dont on souffert toutes les provinces françaises, a risqué d'étouffer la perrsonnalité, de lui substituer un être conventionnel et uniforme, de tuer l'art en tarissant la source de la vérité. Un Mistral est le symbole de la réaction nécessaire. J'avais cru voir dans Tropiques le signe d'un régionalisme non moins vigoureux et tout aussi souhaitable.

Je constate que je me suis trompé et que vous poursuivez un but tout différent. Je pense que le progrès doit être poursuivi dans la voie dans laquelle on s'est engagé depuis près d'un siècle et je crois d'ailleurs que le problème qui se pose ici est beaucoup plus social que racial. Des principes comme ceux que Monsieur le Maréchal a évoqués doivent, lorsque nous aurons le courage de les traduire dans les faits, le résoudre. Pour vous, vous croyez au déchaînement de tous les instincts, de toutes les passions; c'est le retour à la barbarie pure et simple. Schoelcher, que vous invoquez, serait bien étonné de voir son nom et ses paroles utilisés au profit d'une telle cause.

Il ne serait pas concevable qu'un Etat civilisé, conscient de ses devoirs, vous laissât poursuivre la diffusion d'une telle doctrine.

J'interdis donc la parution du numéro de Tropiques dont vous voudrez bien trouver ci-joint les manuscrits.

Je vous prie de bien vouloir agréer,  Monsieur, l'expression de ma considération distinguée

Signé: Bayle



------





Fort-de-France, le 12 mai 1943

A M. le lieutenant de vaisseau Bayle,

Monsieur,

Nous avons reçu votre réquisitoire contre Tropiques.

"Racistes", "sectaires", "révolutionnaires", "ingrats et traîtres à la patrie", "empoisonneur d'âmes" aucune de ces épithètes ne nous répugne essentiellement.

"Empoisonneurs d'âmes" comme Racine, aux dires des Messieurs de Port-Royal.

"Ingrats et traîtres à notre si bonne patrie" comme Zola, au dire de la presse réactionnaire.

"Révolutionnaires" comme l'Hugo des "Châtiments".

"Sectaires" passionnément comme Rimbaud et Lautréamont.

"Racistes", oui. Du racisme de Toussaint Louverture, de Claude MacKey et de Langston Hugues,  contre celui de Drumont et Hitler.

Pour ce qui est du reste, n'attendez de nous ni plaidoyer, ni vaines récriminations ni discussion même.

Nous ne parlons pas le même langage.



Signé: Aimé Césaire, Suzanne Césaire, Georges Gratiant, Aristide Maugée, René Ménil, Lucie Thésée.



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